
Désintox continue sa moisson de bobards de Marine Le Pen et de ses lieutenants. Aujourd’hui, l’Union bancaire, la polémique sur les propos du nouveau président du FN, les droits de douanes, les taxes aux Etats-Unis ou encore le soi-disant communautarisme de l’équipe d’Emmanuel Macron…
http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/04/27/au-menu-des-intox-frontistes-du-jour-negationnisme-trumpisme-suisse-et-europe_1565578?xtor=rss-450&utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter
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L’équipe de Désintox avait compté six intox lors du passage de Marine Le Pen mardi sur TF1. En voilà six de plus, énoncées entre hier et aujourd’hui. Le rythme ne baisse pas.
1) Philippot et les propos négationnistes prêtés à Jean-François Jalkh, nouveau président du FN
Marine Le Pen, qui ne veut plus être la candidate «du Front national» mais celle «soutenue par le Front national» pour se placer au-dessus «des considérations partisanes», a donc été remplacée par le vice-président du parti, Jean-François Jalkh. Quelques heures après sa nomination, des propos sur les chambres à gaz tenus en 2000 ont été reprochés au nouveau président par intérim. Depuis, branle-bas de combat. Le FN dénonce des mensonges, une cabale médiatique, quitte à se prendre les pieds dans le tapis.
«Vous savez qu’il a démenti tout cela», lance Florian Philippot sur France Inter ce matin. Rien de neuf. C’est en effet la défense frontiste depuis le début de l’affaire. Jean-François Jalkh lui-même a, dans un premier temps, décidé de tout nier en bloc auprès d’un journaliste de la Croix. Mais voilà, il a indiqué ce matin au Monde ne plus avoir «aucun souvenir de ça», ajoutant qu’il était possible qu’il les ait tenus puisque «peut-être qu’[il a] donné une interview mais ce ne sont pas [ses] sujets de prédilection».
Ce brutal retour de mémoire tient-il au fait que la doctorante qui a recueilli ces propos a assuré posséder des enregistrements de l’interview ? C’est ce qu’a rappelé Patrick Cohen à Florian Philippot : «La doctorante affirme avoir les enregistrements audio, la retranscription complète de l’entretien.» Résultat, le vice-président du FN change lui aussi d’argumentaire. «Même la retranscription, on n’y comprend rien. Il cite des choses qui ne sont pas de lui. […] Même les propos qu’on voit, on n’y comprend rien. C’est même pas des choses qu’il dit lui. C’est des choses qu’il cite et d’ailleurs il s’en détache, etc. Tout ça, ça fait partie des polémiques de campagne un peu basses.»
Bref, après avoir nié en bloc l’existence de cet entretien, Philippot en relativise la teneur. Sauf que si on lit les propos de Jalkh, tels qu’ils sont retranscrits, on comprend pourtant très clairement que c’est bien le nouveau président du FN qui déclare à propos du «problème des chambres à gaz» : «Moi je vous dis qu’on doit pouvoir discuter même de ce problème», avant de citer le négationniste Robert Faurisson. Est-ce assez clair ?
2) Non, il n’existe pas de taxe «antidélocalisation aux Etats-Unis»
Prendre l’exemple de ce qui se fait ailleurs pour justifier leurs propositions inapplicables, c’est devenu un argument de campagne du FN. Mais ces exemples sont souvent particulièrement mal choisis. Ainsi, Philippot justifiait ce matin la proposition d’instaurer une taxe de 35% aux entreprises qui délocalisent en mettant en avant l’exemple américain. Il réagissait sur France Inter à l’affaire Whirlpool. «Quand il y a une concurrence déloyale, nous avons tout intérêt à nous protéger. La plupart des pays dans le monde le font. Cette taxe de 35%, elle est mise en place aux Etats-Unis en ce qui concerne les délocalisations, elle a été efficace.»
Au même moment sur Radio Classique, Nicolas Bay, secrétaire général du FN, disait la même chose : «Tout simplement, si une entreprise se comporte de cette manière-là [délocaliser puis vendre ces mêmes produits en France, ndlr], elle paiera 35% de droits de douane, c’est-à-dire ce qu’a fait, par exemple, Donald Trump aux Etats-Unis avec les constructeurs automobiles. Ils voulaient installer des usines au Mexique pour construire des voitures à destination du marché américain.»
Selon le FN, une taxe de 35% sur les importations des entreprises qui ont délocalisé leur production serait non seulement mise en place… mais efficace. C’est faux. En fait, le parti a copié une proposition de campagne de Donald Trump qui n’a non seulement jamais été mise en place, mais qui ne figure même pas dans le plan de réforme fiscale présenté par l’administration américaine mercredi.
Le 4 décembre, le président américain se fendait à nouveau d’une série de tweets pour expliquer que le gouvernement allait «réduire de manière significative les taxes et régulations sur les entreprises, mais que les entreprises qui quittent notre pays pour un autre pays, qui licencient leurs employés, qui construisent une nouvelle usine dans un autre pays et pensent qu’elles vont ensuite revendre leurs produits aux Etats-Unis sans rétribution, ni conséquence… ont FAUX. Il y aura une taxe à notre frontière de 35%».
Dans une interview à l’hebdomadaire allemand Bild en janvier, il avait de nouveau menacé les producteurs automobiles allemands. «Si vous voulez construire des voitures dans le monde, je vous souhaite le meilleur. Vous pouvez construire des voitures pour les Etats-Unis, mais sur chaque voiture qui entrera aux Etats-Unis, vous paierez une taxe de 35%». Une remarque adressée directement à BMW, Volkswagen et Daimler qui possèdent des usines aux Etats-Unis mais investissent aussi… au Mexique.
Sauf que ces menaces ne se sont pas traduites en actes. Alors que Trump a présenté sa réforme fiscale mercredi, «l’une des plus importantes» de l’histoire américaine, pas un mot ne figure sur cette fameuse taxe de 35%. Début janvier, Trump avait menacé Ford, General Motors et Toyota qui prévoyaient de construire des usines au Mexique. Ford a en effet renoncé à construire une usine au Mexique pour investir dans le Michigan, mais en affirmant avoir pris cette décision pour des raisons économiques et sans consulter l’administration américaine. Si les raisons pour lesquelles certaines entreprises ont investi aux Etats-Unis à la suite des déclarations de Trump font débat, il est de toute façon clair qu’une taxe qui n’existe pas n’a pas pu être efficace.
3) Non, les Suisses n’ont pas des droits de douane de 55% en moyenne sur les produits agricoles importés
Les bobards de Le Pen mobilisent au-delà des frontières. Car si Le FN raconte des mensonges sur les Etats-Unis, il en raconte aussi sur le plus proche voisin suisse, lui aussi fréquemment cité en modèle. Et plusieurs journalistes suisses se sont ainsi émus d’entendre, mardi soir sur TF1, la candidate convoquer l’exemple suisse pour faire la promotion du «protectionnisme intelligent» qu’elle entend mettre en place : «Merci de me permettre de rappeler que la Suisse, ses barrières douanières en matière d’agriculture sont de 55%.»
Un chiffre – déjà énoncé lors du deuxième débat du premier tour – qui est complètement faux, à en croire nos voisins. D’abord parce qu’il n’existe pas en suisse de taux fixe de droits de douane agricoles. Les taxes d’une marchandise à l’autre sont établies pour chaque produit agricole par l’Office fédéral de l’agriculture (Ofag). Elles sont perçues sur le poids de la marchandise, et non pas sur sa valeur comme le font d’autres pays. L’Ofag fixe en fait la taxe d’importation de chaque produit en fonction du marché, afin de protéger les producteurs locaux. Si ce système peut s’apparenter à ce que le FN propose (une modulation des barrières douanières selon les produits), le pourcentage de 55% est en revanche totalement farfelu.
Selon l’Ofag, il est en réalité dix fois inférieur. D’après les chiffres de l’Administration fédérale des douanes, le pays a importé en 2016 pour 14 milliards de francs suisses (12,9 milliards d’euros) de produits agricoles. Ces importations ont rapporté quelque 700 millions de francs suisses en droits de douane. Les taxes douanières sur les produits agricoles ont donc atteint en moyenne 5,1% de la valeur des importations. Dix fois moins que ce que dit la candidate. «Marine Le Pen ne s’est pas bien informée et donne une impression complètement fausse» du système helvétique, a expliqué à la RTS Reto Strebel, de l’Ofag.
4) Non, l’Union bancaire ne prévoit pas «l’euthanasie» des épargnants
L’Europe ou la ruine des petits épargnants : sur France Inter, hier, Bernard Monot, conseiller économique de Marine Le Pen, n’a pas fait dans la dentelle. Opposé à Marc Ferracci, économiste et soutien d’Emmanuel Macron, Monot a dressé un tableau catastrophiste de l’Union bancaire européenne, système «totalitaire» visant à «l’euthanasie des épargnants». Rien de moins.
Bernard Monot : «Est en place depuis le 1er janvier 2016 ce qu’on appelle l’Union bancaire. C’est une législation qui est totalitaire pour sauver le système bancaire et le système des compagnies d’assurance et notamment l’euro, monnaie unique, et qui est en train de préparer l’asphyxie et l’euthanasie des épargnants en France. Voyez ce qui se passe en Italie, voyez ce qui se passe en Allemagne sur la solidité des banques. Aujourd’hui, vous avez quatre ou cinq banques qui sont en situation de faillite. Comme nous sommes dans une zone euro qui est interconnectée, bien évidemment le système bancaire français sera touché. La contagion les touchera et c’est eux qui payeront la facture.»
Marc Ferracci : «Vous dites que l’Union bancaire voudrait ponctionner le capital des épargnants. C’est un mensonge. l’Union bancaire n’a rien changé à la garantie des dépôts. La garantie des dépôts, elle est à 100 000 euros.»
B.M. : «C’est un mensonge !»
M.F. : «En deçà de 100 000 euros, personne ne sera concerné, personne ne sera ponctionné.»
B.M. : «C’est un mensonge.»
M.F. : «L’Union bancaire, c’est un système qui oblige, en cas de faillite, les actionnaires et les détenteurs de la dette. Ça signifie concrètement que les épargnants seront préservés.»
B.M. : «Non, à faire un hold-up sur leur épargne et sur leurs dépôts bancaires.»
L’Union bancaire vise à empêcher que les éventuelles crises bancaires ne dégénèrent en crises des dettes souveraines, pour éviter le scénario de la crise de 2008 lorsque les Etats – les contribuables donc – avaient dû y aller de plusieurs centaines de milliards d’euros pour sauver le système bancaire. Le MRU (mécanisme de résolution unique, deuxième pilier de l’Union bancaire) institue donc le principe du bail-in (renflouement interne), par opposition au bail-out qui fait appel à de l’argent public.
Effectivement, ce texte, entré en vigueur au 1er janvier 2016, prévoit désormais la possibilité de ponctionner les comptes de dépôts des clients pour contribuer au sauvetage de leur banque. Mais ce n’est qu’en dernier recours, après mise à contribution des actionnaires et créanciers obligataires. Et Le FN oublie (Bernard Monot le nie) de préciser qu’il ne s’agit pas de tous les épargnants. Il existe bien une garantie de dépôt de 100 000 euros. C’est-à-dire qu’en deçà de ce montant, les épargnants ne peuvent, même dans le pire des cas, être inquiétés. Comme le dit Marc Ferracci, ce montant garanti était effectivement en vigueur avant la directive. Il avait été porté à 100 000 euros en 2010. Et a été généralisé au niveau européen.
5) Non, personne n’a manifesté récemment aux cris de «juifs, voleurs, assassins»
Interrogé sur l’interdiction de l’abattage rituel défendu hier par Marine Le Pen à Rungis (point 137 du programme), Gilbert Collard a tenté péniblement de justifier la mesure lors d’un duplex avec la chaîne franco-israélienne d’information i24news. On peut résumer la rhétorique de l’avocat à ceci : l’interdiction de l’abattage (qui concernera aussi les juifs) vise… à défendre les juifs.
«Dans un premier temps, l’abbatage rituel sera supprimé de façon à pouvoir apaiser la laïcité», a expliqué le député frontiste (évoquant au passage une mesure temporaire alors que Florian Philippot, sur France Inter ce matin, ne disait rien de tel) : «Il faut qu’on apaise la laïcité en France. On a trop de tensions. Il y a un communautarisme qui s’est imposé. Et qui n’est pas du reste, du fait de nos amis juifs, loin de là, loin de là.»
Et Collard d’expliquer que les juifs sont «les premières victimes» du communautarisme : «C’est eux qui sont agressés dans la rue quand ils portent la kippa. C’est eux qui sont maltraités ou insultés. On a vu des manifestations où l’on criait “juifs, voleurs, assassins” récemment.» Des propos que Collard avait déjà dénoncés dans un post Facebook, le jour d’une manifestation. Problème : c’est complètement faux. Le député fait référence à une (et non «des») manifestation contre le Front national, organisé à Paris le dimanche 16 avril. Un internaute, qui se qualifie sur son compte Twitter de «militant sioniste», avait alors partagé une vidéo du cortège.
Sauf que très vite, plusieurs journalistes avaient signalé à l’internaute en question que le slogan n’avait rien à voir avec les juifs, mais visaient la police. En effet, en écoutant attentivement, on entend en fait «flics, violeurs, assassins». Un slogan répandu après l’affaire Théo, du nom de cet homme agressé par quatre policiers à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Collard déforme donc à nouveau cette phrase, cette fois pour les besoins d’une interview.
6) Richard Ferrand, la Palestine et le communautarisme
Désigner l’adversaire du FN comme le candidat du communautarisme est une base des intox frontistes. Marine Le Pen avait tenté mardi de faire croire qu’Emmanuel Macron s’était entouré d’un islamiste radical… Gilbert Collard poursuit dans la même veine. Dans la même interview à i24news, le député a asséné qu’il fallait «mettre un terme à ce communautarisme insupportable», visant cette fois Richard Ferrand, secrétaire général d’En marche : «Le numéro 1 de M. Macron a appelé quand même, par le biais d’une subvention qu’il a accordé, au soutien du mouvement palestinien. Tout ça c’est grave. M. Ferrand pour le citer», a ainsi dénoncé Collard. «L’information» vient cette fois du site d’extrême droite Breizh Info, qui accusait le proche de Macron de «soutenir financièrement le boycott d’Israël». En cause, un financement accordé par Ferrand à l’association France Palestine Solidarité avec sa réserve parlementaire.
Dans un texte publié sur blog, le député du Finistère a depuis précisé le cadre dans lequel il a apporté ce soutien financier, assumé. «J’ai accordé 2 000 euros de ma réserve parlementaire pour soutenir un projet d’équipement mobilier d’une classe de jeunes filles dans le camp d’El-Aroub en Palestine. Parce que l’accès à l’éducation dans les meilleures conditions de tous les enfants de France et du monde me tient à cœur, j’ai en effet soutenu une initiative bretonne en faveur d’une école de Palestine.» On est donc loin d’un quelconque signe de communautarisme dénoncé par Collard.