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Malgré la mise en examen de sa cheffe de cabinet, soupçonnée d’emploi fictif comme assistante au Parlement européen, Marine Le Pen continue de faire campagne en tête.
FN, le bras d’honneur permanent.
Il en est des slogans comme des présidents d’honneur : certains vieillissent mal. Voilà donc un certain temps que le Front national n’avance plus «mains propres et tête haute», comme il le proclamait dans les années 90. Mais plutôt l’échine courbée sous le poids des procédures judiciaires qui, depuis trois ans, n’ont cessé de s’accumuler.
Un fardeau encore alourdi mercredi soir par la mise en examen de Catherine Griset, amie et collaboratrice de Marine Le Pen, pour «recel d’abus de confiance» dans l’affaire des assistants parlementaires européens du FN. Figure familière du siège frontiste, Catherine Griset a longtemps cumulé les fonctions de cheffe de cabinet de Marine Le Pen et d’assistante accréditée au Parlement européen : un poste rémunéré sur fonds public et supposant une présence quasi continue à Strasbourg ou à Bruxelles. Cette présence, l’intéressée n’a pas pu la démontrer aux enquêteurs de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), qui l’avaient entendue avant leurs collègues français. L’affaire implique d’autres assistants et vaut déjà une saisie sur salaire à Marine Le Pen. Elle parasite la campagne de la candidate du parti d’extrême droite qui, mercredi soir sur TF1, a dû prendre pour assurer sa propre défense un temps qu’elle aurait préféré consacrer à dérouler son programme ou à attaquer ses adversaires.
Résilience
Outre ce dossier, le financement des dernières campagnes du FN ainsi que le patrimoine personnel de Marine Le Pen sont dans le viseur de la justice. Toutes ces affaires ont trait à l’argent du parti ou de sa présidente. Et deux d’entre elles, l’affaire du microparti Jeanne et celle des assistants parlementaires, semblent recouvrir de véritables systèmes, dont la justice soupçonne qu’ils visaient à détourner des fonds publics au profit du FN, de ses collaborateurs ou de ses prestataires.
Si la présomption d’innocence prévaut dans l’attente d’éventuelles condamnations – pas moins de dix prévenus sont renvoyés en correctionnelle dans l’affaire Jeanne – la situation de la candidate frontiste n’est en la matière guère plus brillante que celle de François Fillon. Force est pourtant de constater que ses effets ne sont pas les mêmes. Le candidat LR a payé d’un trou d’air sondagier et de nombreuses manifestations d’hostilité le possible emploi fictif de son épouse. Rien de tel à ce jour pour la présidente du Front national, que les dernières enquêtes d’opinion donnent toujours largement en tête du premier tour de la présidentielle, avec environ 26 % des voix. Autre donnée flatteuse pour la frontiste : le pourcentage de ses sympathisants se déclarant d’ores et déjà certains de leur choix. Celui-ci est de 77 % selon l’Ifop, contre 59 % pour l’ensemble des électeurs.
Un ensemble de facteurs peut être avancé pour expliquer cette résilience. A commencer par l’absence de mise en cause personnelle de Marine Le Pen dans les deux principaux dossiers, l’affaire Jeanne et celle des assistants. A la différence de beaucoup de ses proches, la candidate n’a pour l’heure pas été mise en examen, et, contrairement au couple Fillon, n’est pas soupçonnée d’enrichissement personnel frauduleux. Qui plus est, les affaires en question se révèlent complexes, le cas Jeanne, notamment, mettant en jeu de nombreux acteurs mal connus du public et des circuits financiers sophistiqués. Quant aux partis concurrents du FN, leurs propres avanies judiciaires ne leur confèrent aucun avantage vis-à-vis de Marine Le Pen sur ce terrain.
Agent maléfique
Reste à évaluer l’impact de la défense retenue par le Front national : un complotisme forcené, voyant derrière chaque rebondissement judiciaire la main de ses adversaires politiques. Ligne facile, et dont le FN n’a d’ailleurs pas l’usage exclusif, tant François Fillon en a usé lui aussi, à la Nicolas Sarkozy. Mais l’argument entre en résonance avec le discours traditionnel du parti, peuplé de telles causalités et surtout d’un agent aussi nébuleux que maléfique, le «système». «Système» qui, dans le dossier des assistants parlementaires, prend la figure d’une Union européenne largement décriée – dont beaucoup de frontistes se convaincront sans mal qu’elle cherche effectivement à nuire à leur championne. Ou, à l’inverse, que celle-ci a bien raison de faire les poches de l’Europe pour faire de la politique à Paris.
Une hypothèse encore : que, même sans être dupe de cette défense, un électorat radicalement hostile à l’immigration et à l’islam, écœuré par les partis traditionnels, soit prêt à beaucoup pardonner à la candidate du Front national pourvu qu’elle soit en situation d’appliquer son programme. Plus qu’un exercice honnête et transparent du pouvoir, c’est la promesse d’une France close et homogène qui est au cœur du contrat frontiste. Dès lors, les adversaires du FN feraient fausse route en comptant sur la justice pour lui barrer la route qu’ils lui ont ouverte politiquement.