Les trois affaires qui menacent Marine Le Pen et le Front national

Marine Le Pen et Le Front National actualités

La présidente du Front national est citée dans trois affaires politico-financières distinctes : les assistants européens, le financement des campagnes et la sous-évaluation de son patrimoine.

LE MONDE | • Mis à jour le | Par Maxime Vaudano

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Les affaires Fillon aurait pu être une occasion rêvée pour Marine Le Pen de brocarder le « système », pour jouer sur la corde du « tous pourris » et de se présenter comme la candidate irréprochable. Le silence de la présidente du Front national a donc peut-être à voir avec les trois fronts judiciaires auquels elle doit faire face à moins de trois mois de l’élection présidentielle.

Le dernier en date est l’affaire des assistants parlementaires supposés fictifs, dans laquelle Mme Le Pen a engagé un bras de fer avec le Parlement européen : faute d’avoir remboursé en janvier les 300 000 euros que lui réclamait l’assemblée (pour les salaires de deux de ses assistants qui ne l’étaient visiblement pas vraiment), la députée européenne va se voir ponctionner une grande partie de ses indemnités parlementaires. Mais ses ennuis pourraient ne pas s’arrêter là.

  1. Les assistants parlementaires européens
  2. Le financement des campagnes
  3. Le patrimoine sous-évalué de Marine et Jean-Marie Le Pen

1. Les assistants parlementaires européens

MARINE LE PEN INQUIÉTÉE

  • De quoi s’agit-il ?

Les vingt-trois députés européens Front national emploient, comme le leur permettent les règles européennes, une soixantaine d’assistants parlementaires pour les aider dans leur mandat depuis leur élection en 2014. Ceux-ci sont directement payés par le Parlement, dans la limite d’une enveloppe globale d’environ 24 000 euros par député.

En 2015, les instances dirigeantes du Parlement ont émis des doutes sur la réalité du travail de 29 de ces assistants parlementaires : occupant par ailleurs des postes stratégiques au sein du FN ou directement auprès de Marine Le Pen, ceux-ci ne seraient embauchés à l’Assemblée européenne que pour en percevoir les indemnités, en travaillant pour le FN plutôt que sur les dossiers européens. Certains assistants « accrédités », contractuellement tenus de vivre à Bruxelles, mettraient même très rarement les pieds dans la capitale belge.

Pourtant, les règles européennes sont claires : « Seuls peuvent être pris en charge les frais correspondant à l’assistance nécessaire et directement liée à l’exercice du mandat parlementaire des députés (…) Ces dépenses ne peuvent en aucun cas couvrir des frais liés à la sphère privée des députés. »

Si les allégations étaient confirmées, il s’agirait donc d’emplois fictifs financés par le contribuable européen – pour un préjudice évalué à 7,5 millions d’euros, étalé sur plusieurs années (2010-2016).

Lire notre enquête :   Le FN, champion du cumul de fonctions chez ses assistants parlementaires

  • Où en est l’affaire ?

Saisi par les instances du Parlement en mars 2015, l’Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) a mené l’enquête pendant plusieurs mois, en interrogeant les assistants soupçonnés et en examinant leurs agendas. Il a ainsi établi que l’une de ses assistantes bruxelloises de Marine Le Pen, Catherine Griset, n’avait jamais eu de bail à Bruxelles en cinq ans et que ses apparitions au Parlement étaient rarissimes ; ou qu’un autre de ses assistants, Thierry Légier, occupait en parallèle la fonction de garde du corps.

Depuis juin 2016, l’OLAF a déjà demandé à six députés frontistes de rembourser les salaires de leurs « assistants fictifs » (Marine et Jean-Marie Le Pen, Bruno Gollnisch, Mylène Troszczynski, Sophie Montel et Dominique Bilde).

Faute de s’être acquittée avant le 31 janvier 2017 des 300 000 euros qui lui étaient réclamés, Mme Le Pen va voir ses prochaines indemnités d’eurodéputée largement ponctionnées pour rembourser la somme (à laquelle s’ajouteront 40 000 euros supplémentaires en février pour Thierry Légier). La même sanction avait été appliquée à son père à l’été 2016.

Une enquête judiciaire est également en cours côté français : saisi en mars 2015 par le Parlement européen, le parquet de Paris a ouvert une instruction judiciaire en décembre 2016. Il soupçonne une « escroquerie en bande organisée » pouvant s’assimiler à du financement illégal de parti politique.

Marine Le Pen a dénoncé une persécution politique orchestrée par l’ancien président (social-démocrate) du Parlement européen Martin Schulz, avec la complicité de Manuel Valls, qui était encore premier ministre.

Elle a contre-attaqué en déposant en janvier 2017 une plainte pour « faux intellectuel » pour dénoncer une supposée collusion entre l’OLAF et le secrétaire général du Parlement européen, auteur du signalement.

Son avocat a également sous-entendu que le fait d’employer des assistants parlementaires pour effectuer un travail partisan était monnaie courante au Parlement européen, en citant les cas des socialistes espagnols ou des conservateurs polonais.

Plus globalement, l’ensemble des députés FN incriminés dénoncent le fait de devoir rembourser une somme sur la seule base d’une enquête administrative de l’OLAF, sans même avoir été jugés par la justice. C’est pourtant une procédure tout à fait classique : l’utilisation indue des indemnités fait partie du domaine de compétence de l’OLAF, qui a le pouvoir de recouvrer les sommes indues.

L’une des manières de « judiciariser » de telles enquêtes serait de substituer à l’OLAF un « parquet européen » doté de pouvoirs d’enquête et de poursuite. Problème : ce projet, dans les tuyaux européens depuis 2013, est vivement combattu par les eurodéputés FN.

2. Le financement des campagnes

MARINE LE PEN PAS INQUIÉTÉE POUR L’HEURE

  • De quoi s’agit-il ?

Le Front national est soupçonné d’avoir mis en place un système de financement frauduleux pour toutes ses campagnes électorales depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa présidence : cantonales 2011, présidentielle et législatives 2012, municipales, européennes et sénatoriales 2014, départementales et régionales 2015.

Si les personnes et les structures suspectées varient d’une élection sur l’autre, le mécanisme serait toujours le même :

  • Pour imprimer leurs tracts ou construire leurs sites web de campagne, les candidats frontistes font appel à des prestataires proches du FN (Riwal et Les Presses de France, les sociétés de Frédéric Chatillon et Axel Loustau, deux proches de Marine Le Pen).
  • Ces prestations seraient largement surfacturées aux candidats – ce qui permettrait à ces prestataires d’empocher de fortes marges (et d’en détourner une partie vers des paradis fiscaux).
  • Cela ne coûte rien aux candidats, puisque l’Etat rembourse les frais de campagne à condition de réaliser un score convenable.

Outre l’escroquerie, ces montages supposés pourraient poser trois problèmes supplémentaires :

  • Le FN aurait imposé à ses candidats de faire appel à ces prestataires en contrepartie de leur investiture, ce qui est interdit par le code électoral.
  • Le micro-parti Jeanne, utilisé comme intermédiaire dans certains cas, aurait empoché de fortes sommes en consentant des prêts très onéreux aux candidats frontistes pour financer leur campagne avant le remboursement par l’Etat.
  • Des conventions de prêt auraient été antidatées pour être éligibles au remboursement public.
  • Où en est l’affaire ?

Une première enquête judiciaire, ouverte en 2013, portait sur les campagnes présidentielle et législative de 2012. Elle a donné lieu, en octobre 2016, au renvoi en correctionnelle du FN, du parti Jeanne, de la société Riwal, de deux dirigeants du FN (le trésorier Wallerand de Saint-Just et l’un de ses vice-présidents Jean-François Jalkh) et de cinq proches de Marine Le Pen (Frédéric Chatillon, Axel Loustau, Olivier Duguet, Sighild Blanc, Nicolas Crochet). Tous devront répondre à la barre de chefs d’accusation allant de l’escroquerie au recel d’abus de biens sociaux, en passant par le faux et usage de faux.

Marine Le Pen n’a pas été inquiétée : entendue comme témoin assistée, elle a réussi à convaincre les enquêteurs qu’elle n’avait pas participé à l’organisation des législatives.

La deuxième enquête, ouverte sur la base de la cellule anti-blanchiment Tracfin, vise les quatre élections suivantes (municipales, européennes, sénatoriales et départementales). L’information judiciaire ouverte en octobre 2016 doit permettre de faire la lumière sur d’éventuelles irrégularités impliquant les mêmes prestataires du FN (Chatillon, Loustau, Duguet et Blanc).

Enfin, une troisième enquête, encore à l’étape préliminaire, a été ouverte en décembre 2016 sur la campagne pour les élections régionales. La justice s’intéresse encore une fois aux sociétés d’Axel Loustau.

  • La défense de Marine Le Pen

Elle tient en trois points :

  • Il s’agit d’un acharnement politique instruit par une justice hostile au FN.
  • Elle ne s’est jamais occupée personnellement de l’organisation des campagnes.
  • La Commission des comptes de campagne (CNCCFP) a toujours validé les comptes des campagnes du FN.

C’est oublier que c’est la CNCCFP qui a alerté la première la justice sur les soupçons pesant sur le financement des législatives, en 2013. N’ayant pas elle-même les moyens de mener ce genre d’enquête, il est classique que des enquêteurs judiciaires prennent le relai.

Mme Le Pen n’a en tout cas pas coupé les ponts avec Axel Loustau, qu’elle a chargé de gérer les finances de sa campagne présidentielle en 2017.

3. Le patrimoine sous-évalué de Marine et Jean-Marie Le Pen

MARINE LE PEN SUSPECTÉE

  • De quoi s’agit-il ?

Dans leurs déclarations de patrimoine de députés européens, remises en 2014, Marine Le Pen et son père Jean-Marie auraient minoré la valeur de plusieurs bien immobiliers. Ils auraient notamment sous-estimé de deux tiers la valeur de leurs parts dans la SCI détenant le célèbre manoir familial de Montretout, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Cela représenterait plus de un million d’euros pour Jean-Marie Le Pen et plusieurs centaines de milliers d’euros pour sa fille.

  • Où en est l’affaire ?

Saisie par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui s’occupe de vérifier les déclarations de patrimoine, le parquet national financier a ouvert en janvier 2016 une enquête préliminaire visant les Le Pen.

S’il était prouvé qu’elle a omis de déclarer « une partie substantielle de son patrimoine » ou qu’elle en a fourni « une évaluation mensongère », la présidente du FN risquerait trois ans de prison, 45 000 euros d’amende et dix ans d’inéligibilité.

Son père risque plus gros, car il aurait aussi omis de déclarer un compte en Suisse et des lingots d’or repérés par la cellule anti-blanchiment Tracfin. Il fait également l’objet d’une plainte du fisc pour fraude fiscale aggravée.

La HATVP le soupçonne enfin d’avoir utilisé l’argent de son micro-parti Cotelec pour financer l’achat de la villa de La Bonbonnière, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), en 2013. Une opération qui relèverait du détournement de fonds public et pourrait retomber sur Marine Le Pen, qui a participé à l’opération immobilière grâce à un prêt de son père et siégait au conseil d’administration de Cotelec.

  • La défense de Marine Le Pen

Comme à son habitude, Marine Le Pen a dénoncé « une volonté de nuire désormais systématique et outrancière » de la HATVP et de la justice.

Sur le fond, la dirigeante du FN a estimé que « l’évaluation de parts minoritaires de SCI » du manoir Montretout effectuée par la HATVP « est totalement contradictoire et gravement surévaluée avec celle opérée, depuis de nombreuses années, par l’administration fiscale » – ce que le parquet financier pourra rapidement vérifier.

Quelques jours plus tard, le trésorier du FN Wallerand de Saint-Just avait indiqué à Mediapart que la bonne foi de Marine Le Pen était « totale », car elle avait « repris ce que déclarait son père » sur le manoir.